Jipango No3 mars 2000 .

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... Voyage au Japon

Dominique Palmé, traductrice : « Au Japon, la poésie est un ciment social »

Qu'elle traduise Inoue, Oe, Mishima ou Yoshimoto, Dominique Palmé procède « à l'ancienne », établissant jusqu'à trois ou quatre versions successives du texte français. Un travail d'orfèvre qui rapporte à peine le SMIC !


Ma première rencontre avec le Japon remonte à ma petite enfance. Mon père avait un ami professeur de philosophie et d'histoire des religions qui avait écrit un livre de contes et légendes du Japon pour les enfants. C'était des contes effrayants inspirés des histoires que raconte Lafcadio Hearn. Longtemps, j'ai pensé que les Japonais étaient des gens cruels...

Lorsque j'ai décidé d'étudier le japonais, j'ai d'abord été effrayée par le nombre d'idéogrammes à apprendre et puis je me suis prise au jeu et j'ai fini par me passionner pour cette culture.

En 1973, je suis allée pour la première fois au Japon. J'ai rencontré un professeur d'université très connu, M. Mori Arimasa, qui m'a proposé un poste d'enseignante à l'université de Aoyama Gakuin. A mon retour en France, en 76, je me suis réinscrite aux Langues O et j'ai décidé de consacrer mon mémoire de maîtrise à Kitahara Hakushu, un poète très connu au Japon qui a beaucoup contribué à faire redécouvrir les chansons d'autrefois.

A l'époque, très peu d'éditeurs français publiaient de la littérature japonaise et il était pratiquement impossible d'en vivre. C'est pourquoi je me suis d'abord orientée vers la traduction technique. Jusqu'au milieu des années 80, je n'ai traduit que des documents ayant trait au ciment ou aux déchets nucléaires !

L'élan a été donné vers 1985/1986 quand Philippe Picquier a lancé sa maison d'édition spécialisée en littératures d'Asie. Dès lors, je me suis lancée dans la traduction littéraire mais en gardant toujours, à côté, la traduction technique qui rapporte environ quatre fois plus que la littérature ! Bien sûr, on peut toujours bâcler (j'ai remarqué que certaines traductions anglaises sautent carrément les passages qui leur posent des problèmes !) mais quand on veut vraiment bien faire son travail et qu'on fait, comme moi, trois ou quatre versions successives, on touche à peine le SMIC.

En dix ans, j'ai traduit environ 10 livres, soit un par an. Je travaille généralement " à quatre mains ", avec mon amie Sato Kyoko. Ainsi, je suis certaine de ne pas faire de contresens. Le japonais se caractérise en effet par un très grand flou. Il y a beaucoup de mots à double ou même à triple sens... Le premier livre que nous avons traduit ensemble est Le loup bleu de Inoue Yasushi qui raconte l'histoire romancée de Gengis Khan. Cela m'a demandé un travail colossal. J'ai passé des journées entières à rechercher les transcriptions françaises des personnages mongols et chinois.

Ensuite, j'ai traduit les livres de Yoshimoto Banana, notamment Kitchen et NP qui se sont tous deux vendus à 2 millions d'exemplaires au Japon. Son style est beaucoup plus simple que celui d'Inoue tout en étant très poétique (tendance haiku). Il me semble d'ailleurs que la dimension poétique est une caractéristique de l'ensemble de la littérature japonaise. Au Japon, tout le monde écrit des poèmes. C'est une sorte de ciment social.

Généralement, je corresponds par fax avec les auteurs que je traduis car j'ai beaucoup de questions à leur poser en cours de traduction. Oe Kenzaburo, dont j'ai traduit les Notes de Hiroshima, m'a toujours répondu avec beaucoup de gentillesse et de précision.
Je compare souvent l'art du traducteur à celui de l'interprète en musique. Comme on ne peut pas être bon partout, il faut trouver les uvres ou les écrivains avec lesquels on entre en résonnance.


Mes endroits préférés au Japon :

Le temple zen Daitokuji à Kyoto. C'est un grand ensemble constitué d'une multitude de petits temples. J'y retourne à chaque voyage pour admirer les différents jardins, tous magnifiques.

La petite ville de Yanagawa, dans l'île de Kyushu. Elle fut un fief assez important jusqu'à la fin du XIXe siècle mais aujourd'hui, elle est tombée en désuétude. J'aime son charme passé. Il y a de très jolis canaux bordés de saules (Yanagawa signifie rivière des saules) et, au bord de la rivière, de sympathiques petits restaurants de poisson.

L'île de Matsushima (l'île aux pins), aux environs de Sendai. C'est vraiment « la sente étroite du bout du monde ». En plus, on y déguste les meilleurs sushi du Japon !

Mes livres préférés :

Je suis un chat de Natsume Sôseki. Ce livre montre que, contrairement à leur réputation, les Japonais peuvent avoir beaucoup d'humour. Dans un autre genre, Les pornographes de Nosaka Akiyuki, sont un régal de drôlerie. Confessions d'un masque de Mishima. Un roman largement autobiographique que Mishima a écrit à l'âge de 23 ans. Il y raconte comment il a pris conscience de son homosexualité. La rivière aux lucioles de Miyamoto Teru. Un très joli roman d'initiation fondé sur les souvenirs personnels de l'auteur.

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